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DÉCHIREMENT


Si l’on t’avait appris qu’un cœur toujours malade,
Et blessé chaque soir d’ombre et de volupté,
Ne goûte qu’en mourant l’odeur des roses thé
Dans l’air chaud, remué par les cris des pintades ;

Ah ! si l’on t’avait dit, lorsque sous ton chapeau
Tu riais de tenir du soleil dans tes lèvres,
Que l’été te serait un jour comme une fièvre,
Et qu’enfin ce serait atroce qu’il fît beau !

Chère douleur ! ô seul brisement délectable,
C’est donc vous que du fond des enfantines paix
Nous attendions, nous appelions, que j’appelais
Quand les trop doux matins défaillaient sur le sable.

Vous par qui l’on sanglote et vous par qui l’on rit,
– Rire d’inconsolable et mortelle allégresse ! –
Ô douleur, gardez-nous, que nous soyons sans cesse
Renversés en travers de vos genoux meurtris.

Qu’importe l’épuisante et l’ardente démence !
L’âpre gloire se tient près des plus faibles cœurs,
Faisons de notre vie, illustre par ses pleurs,
Une ville bâtie au bord d’un fleuve immense…