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NATURE QUE JE SERS…

Ont disparu là-bas, dans l’herbe, avec les morts.
Je sais que sans loisir, sans trêve, sans remords,
Tu jettes des héros dans ton ombre profonde.
Tout ce qui fut la joie et la beauté du monde
Est devenu le sol humide de tes bois.
Des empires sont morts et sont rentrés en toi.
Partout où le pied pose, où la main veut s’étendre,
On sent s’évaporer une funèbre cendre.
Telle que je te vois, tu ne peux consoler :
Tu fais mugir tes flots, tu refuses ton blé,
Et détournant tes yeux d’une âmo qui t’implore,
Tu ne veux que fleurir et que jouir encore,
Tu n’as de tendres soins et de suavité
Que pour ton éclatant et ton impur été. ..

Mais alors, quelle avide et chaude complaisance !
Tout s’empresse, tout luit, tout chante, tout s’élance !
Lumineuse fraîcheur des bondissants matins,
Gaîté de la rosée au cœur des lauriers-thyms !
Les pins disciplinés, graves, emplis de force,
Sont au bord de la mer comme un temple d’écorce.
Quel feu que de parfums jusqu’au ciel étagés,
L’amour dans chaque fleur, dans chaque fruit logé.
Quel délire glissant du verger au bocage !
L’oiseau semble une feuille, et la feuille, un plumage.
Le ramier langoureux caresse son sérail,
La fleur ouvre à l’insecte un gosier de corail.
Le tilleul, le bouleau, les platanes, les frênes,
Au vent voluptueux livrent leurs molles graines,