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L’Adige, entre les murs de brique qu’il reflète,
Roule son rouge flot, large, brusque, puissant :
Dans la ville de Juliette
Un fleuve à la couleur du sang.

Ô tragique douceur de la cité sanglante,
Rue où le passé vit sous les vents endormis :
Un masque court, ombre galante,
Au bal des amants ennemis.

Je m’élance, et je vois ta maison, Juliette !
Si plaintive, si noire, ainsi qu’un froid charbon.
C’est là que la fraîche alouette
T’épouvantait de sa chanson !

Que tu fus consumée, ô nymphe des supplices !
Que ton mortel désir était fervent et beau
Lorsque tu t’écriais : « Nourrice,
Que l’on prépare mon tombeau !

« Qu’on prépare ma tombe et mon funèbre somme,
Que mon lit nuptial soit violet et noir,
Si je n’enlace le jeune homme
Qui brillait au verger ce soir !… »

Auprès de ta fureur héroïque et plaintive,
Auprès de tes appels, de ton brûlant tourment,