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DÉSESPOIR EN ÉTÉ


Ah ! j’aurais toujours dû savoir qu’évidemment
Je vivrais dans ce dur et tendre flamboiement ;
Mais chaque fois qu’en mai, par la claire fenêtre,
Le parfum du feuillage et de l’azur pénètre,
Je m’arrête interdite, et n’ayant jamais cru
Que l’été fût si fort, si tendre et si bourru.
Je m’appuie au balcon et mon esprit tournoie
Dans un vertige ardent de folie et de joie ;
Semblable à ces bateaux éperdus, détournés,
Qui luttent sur la vague, et flottent, inclinés
Entre le vent rapide et la vive rivière,
Je marche en me penchant, comme si la lumière
De son heurt formidable, ardent, espiègle et doux
Me frappait, me jetait de côté tout à coup…
Et je vis, étonnée, aveuglée, éblouie,
Sachant bien que pourtant la détresse inouïe
A depuis mon enfance exalté tous mes jours,
Que je l’appelle ardeur, que je l’appelle amour,
Que je n’ai jamais cru qu’il y eut d’autre ivresse