Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/107

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toit se soutenoit encore sur ses frêles appuis. Le premier objet qui se présenta à lui fut mon berceau ; il le mit d’abord à l’abri d’un péril qui s’augmentoit sans cesse, car les travaux mêmes des mineurs avoient favorisé l’éboulement de quelques masses nouvelles et augmenté l’ébranlement de notre fragile demeure. Il y rentra pour sauver ma mère évanouie, et on le vit un moment, à la lueur des torches qui brûloient à l’extérieur, la rapporter dans ses bras, — mais alors tout s’écroula. — Je fus orphelin, et on s’aperçut le lendemain qu’une goutte sereine avoit frappé mes yeux. J’étois aveugle.

— Pauvre enfant ! ainsi vous restâtes seul, absolument seul !

— Un malheureux n’est jamais absolument seul dans notre vallée. Tous nos bons Chamouniers se réunirent pour adoucir ma misère. Balmat me donna l’abri, Simon Coutet la nourriture, Gabriel Payot le vêtement. Une bonne femme veuve, qui avoit perdu ses enfants, se chargea de me soigner et de me conduire. C’est elle qui me sert encore de mère, et qui m’amène à cette place tous les jours de l’été.

— Et voilà tous vos amis ?

— J’en ai eu plusieurs, répondit le jeune homme en imposant un doigt sur ses lèvres d’un air mystérieux, mais ils sont partis.

— Pour ne pas revenir ?

— Selon toute apparence. J’ai cru pendant quelques jours que Puck reviendroit et qu’il n’étoit qu’égaré… mais on ne s’égare pas impunément dans nos glaciers. Je ne le sentirai plus bondir à mes côtés… je ne l’entendrai plus japper à l’approche des voyageurs…

(L’aveugle essuya une larme.)

— Comment vous nommez-vous ?

— Gervais.

— Écoutez, Gervais, — Ces amis que vous avez perdus… — expliquez-moi…