Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/141

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direction dans laquelle nous étions conduits. Nous nous arrêtâmes enfin dans une forêt épaisse et obscure, où elle jugea à propos de nous faire reposer sous des ombrages impénétrables au soleil, et je ne doute pas que ce ne fût cette forêt magique qui sert de ceinture à la montagne du Caf, laquelle est elle-même, comme vous savez, la ceinture du monde. Nous nous divertîmes assez bien dans cet endroit, en buvant des vins qu’elle avoit apportés et dont nous ne connaissions pas l’usage. Ces breuvages défendus nous plongèrent dans un sommeil si profond, qu’il me serait difficile d’en déterminer la durée. Mais quelle fut la douleur de Mahoud, celle de Pirouz et la mienne, car notre jeune frère Ebid dormoit encore, quand nous ne retrouvâmes au réveil ni la femme de mon père ni la litière qui nous avoit amenés ! Notre premier mouvement fut de courir, de chercher, d’appeler à grands cris ; le tout en vain. Nous comprîmes alors aisément le piège où nous étions tombés, car j’avois déjà vingt ans et mes deux frères puînés une seule année de moins, parce qu’ils étoient jumeaux. Dès ce moment nous nous abandonnâmes au plus horrible désespoir et nous remplîmes les airs de nos cris, sans parvenir toutefois à réveiller notre frère Ebid, qui paroissoit occupé d’un rêve gracieux, car le malheureux enfant rioit dans son sommeil. Cependant nos clameurs devinrent si fortes, qu’elles attirèrent vers nous le seul habitant de ces affreux déserts. C’étoit un génie de plus de vingt coudées de hauteur, dont l’œil unique scintilloit comme une étoile de feu, et dont les pas retentissoient sur la terre comme des rochers tombés de la montagne. Mais il faut convenir qu’il avoit d’ailleurs une voix douce et des manières gracieuses qui nous rassurèrent tout de suite.

« C’est bravement crié, garçons, dit-il en nous abordant, mais c’est une affaire faite, et je vous dispense volontiers de vous égosiller davantage, d’autant que je