Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/160

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le trésor particulier du plus grand ministre qui ait imposé à cet empire la douce sagesse de ses lois. C’est à vous, seigneur, qu’ils appartiennent, et c’est dans la seule intention de vous les offrir que je me les suis conservés. Puissent-ils vous paroître dignes de tenir une place modeste parmi les magnificences de votre palais ! »

« Prince Douban, répondit le grand visir en se soulevant d’un air de bienveillance sur ses mains sèches et crochues, nous aimons à reconnoître dans ce présent, qui nous est singulièrement agréable, la somptueuse libéralité de vos illustres ancêtres, et nous vous prions de croire à notre bénigne et infaillible protection. »

Un instant après, il fit charger trois cents chameaux de mes dépouilles, et il me quitta, en me félicitant, par des paroles affables et louangeuses, sur mon mépris pour les richesses.

Il s’en falloit de beaucoup que je fusse parvenu à ce haut degré de la sagesse humaine. Je me consolois sans effort d’un jour de mauvaise fortune, dans l’attente de mes convois, et il n’en manqua pas un seul. Mes maisons se remplirent, mes souterrains se comblèrent, l’or m’envahit de tous côtés ; et comme je ne pouvois suffire à le dépenser et à le répandre, je craignis quelquefois qu’il ne vînt me disputer la place étroite que je m’étois réservée pour vivre simplement et commodément à la manière des autres hommes. Deux mois se passèrent ainsi en sollicitudes et en embarras, dont les pauvres ont au moins le bonheur de ne pas se faire d’idée, et je crois que je serais mort à la peine si le grand visir n’avoit pas jugé à propos de mettre un terme éternel à mes soucis par une nouvelle visite.

Il se présenta cette fois dans un autre appareil, c’est-à-dire accompagné de cent eunuques noirs précédés de leurs chefs, et brandissant autour de leur tête des sabres éblouissants, dont l’aspect me saisit de terreur, car je n’ai jamais été fort brave, et il n’y a rien qui rende le