Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/168

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— Elle-même, reprit le marchand avec un sang-froid accablant, et c’est ainsi qu’elle parloit de vous ! « Cruel, me disoit-elle souvent en tournant sur moi des yeux de gazelle qui auroient attendri un tigre, si tu vends ma personne au roi de la Chine, comme tu te l’es proposé, ne te flatte pas lui vendre mon cœur. Mon cœur s’est donné au plus beau des princes de la terre, au charmant Mahoud, l’héritier présomptif du Fitzistan : je ne sais si tu en as entendu parler, continuoit-elle, et je ne l’ai jamais vu, mais il m’apparoît toutes les nuits dans mes songes. C’est à lui qu’appartient à jamais, quoi qu’il arrive, l’infortunée Zénaïb… »

À ces mots, la troupe entière partit d’un éclat de rire convulsif, mais j’y fis peu d’attention. L’image que je me faisois de Zénaïb absorbait toute ma pensée, et je me promettois déjà d’avoir peu d’égards pour les vulgaires tendresses des filles d’Imérette. Nous entrâmes le lendemain dans la ville, sans que j’eusse changé de résolution.

Après avoir reçu du marchand d’esclaves ce qui m’étoit dû en raison de mes services, je me retirai dans un kan fort isolé, pour y penser librement à Zénaïb, et pour y chercher les moyens de rejoindre ma princesse à travers l’espace immense qui nous séparoit. Mon imagination, naturellement assez paresseuse, ne m’en ayant fourni aucun, je commençois à m’abandonner à la plus noire mélancolie, quand une fête publique qui se célébroit à Imérette, m’inspira l’envie de sortir de ma retraite pour me distraire un moment des chagrins qui m’accabloient. Il est inutile de vous parler de l’effet que produisit ma vue ; il n’y eut qu’un cri sur mon passage, et la modestie me défend de le répéter. Seulement, l’émotion des plus jeunes ou des plus réservées se trahissoit par quelques soupirs qu’on étouffoit à demi, en cherchant à les faire entendre. Je ne rentrai chez moi que fort tard, à cause du grand concours de femmes qui se pressoient au-devant de moi, et qui me fermoient