Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/177

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courroucé, qui me laissa douter si sa haine étoit aussi effrayante que son amour.

Je me rendis aux bains, je me parfumai avec soin, je me couvris des habits les plus élégants que je pusse trouver parmi les magnifiques présents de la déplorable Aïscha, et je fus exact au rendez-vous de Zénaïb. L’échelle de corde étoit préparée ; il ne me fallut, pour la franchir, que le temps de le vouloir. Je la vis, seigneur, et le souvenir de ce moment, impossible à décrire, fait encore le bonheur et le désespoir de ma vie ! Pardonnez donc à l’émotion involontaire qui embarrasse et qui suspend mes paroles.

Zénaïb, couchée sur de riches carreaux semés de fleurs, se souleva lentement en poussant un foible cri, car l’excès de sa passion lui avoit ôté presque toutes ses forces. Je fléchis un genou devant elle, et je m’emparai en tremblant de sa main palpitante.

— Prince Mahoud, est-ce vous ? dit-elle en entr’ouvrant sur moi un long œil noir qui resplendissoit de plus de feux que l’étoile du matin. Est-ce vous ? continua-t-elle avec une langueur inexprimable, en laissant retomber sa tête défaillante sur son cou de cygne, parce que son cœur ne pouvoit plus suffire au trouble qu’il éprouvoit. Quant à moi, je cherchois en vain un langage pour lui répondre, à l’aspect des beautés qui frappoient mes regards, et dont les houris de Mahomet n’offriront jamais qu’une imparfaite image.

Cependant nos yeux se rencontrèrent, et une admiration réciproque prenant la place de tout autre sentiment, nous restâmes comme pâmés l’un devant l’autre, plus semblables à des statues insensibles qu’à des amants impatients d’être heureux.

Au même instant une des portières de l’appartement s’entr’ouvrit, et l’empereur de la Chine, suivi de courtisans et de soldats, s’élança au milieu de nous en brandissant un sabre nu sur nos têtes, pendant que Zénaïb