Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/199

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HISTOIRE D’ÉBID LE BIENFAISANT.


Mon histoire, continua-t-il, ne sera pas longue à raconter. Il y a peu de vicissitudes dans la vie des hommes simples, qui obéissent naïvement à leur nature, et qui subissent les lois inévitables de la nécessité sans ressources et sans secrets que la patience et le travail. Ce que j’ai fait, c’est ce que l’instinct universel de la conservation enseigne à tous nos semblables. Ce que je suis devenu, c’est Dieu qui l’a fait.

Mes cris troublèrent comme les vôtres le silence presque inviolable où reposoit depuis des siècles le génie de la montagne. Il m’apparut comme à vous, mais probablement plus impatient et plus fatigué, car il n’avoit pas compté sur une importunité nouvelle. Aussi je ne vous cacherai pas que son aspect me remplit de terreur, et que je tombai tremblant devant lui, sans avoir la force d’opposer une parole à sa colère. Touché cependant de mon enfance et de ma foiblesse, il s’empressa de me rassurer par des discours bienveillants, qui me rendirent un peu de courage, parce qu’à travers les formes grossières de sa mauvaise éducation, ils annonçoient un grand fonds de bonne foi et d’honnêteté naturelles. « Lève-toi, pauvre petit me dit-il, et laisse-moi en repos sans t’inquiéter pour toi-même, car je ne veux point te faire de mal. Ce n’est pas ma faute, au reste, si tu dors d’un sommeil si dur, et je regrette que tu ne te sois pas éveillé avec tes compagnons. Comme ils m’avoient rendu service, et que toute peine vaut salaire, j’ai distribué entre eux quelques babioles qui me sont venues d’héritage, mais dont je n’avois aucun besoin pour mon usage particulier, le patrimoine que