Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/217

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surtout quand elle agit sur un être débile et irritable.

Ainsi les monomanies que j’ai observées affectent ordinairement les femmes, et les femmes dont elles s’emparent sont, pour la plupart, frappées d’avance d’une extrême délibitation intellectuelle ; il ne faudroit pas leur demander en justice comment elles ont vécu, mais comment elles ont dormi, car le secret de leur crime est bien moins le secret de leur vie positive que celui de leur sommeil. C’est que la perception, je le répète, se prolonge surtout, dans l’isolement, et que l’hébétation se fait une espèce de solitude où cette perception se développe sans obstacles, et finit par absorber toutes les facultés de la pensée. En veut-on une preuve singulière et sans réplique ? Nos annales judiciaires n’ont heureusement fourni que deux exemples du crime incompréhensible d’anthropophagie, celui de Ferrage et celui de Léger : ces deux monstres étoient stupides et solitaires.

Les savants qui savent les langues n’ignorent pas que les anciens n’avoient qu’un mot pour désigner le solitaire et l’idiot.

En supposant établi ce prolongement indéfini des perceptions du sommeil qui fait le monomane, et je n’ai pas ici assez de place pour élaborer cette idée de manière à la porter au dernier degré d’évidence, j’arriverois à une autre théorie qui ne me paroît pas moins démontrée, celle de la propagation de ces perceptions de la vie nocturne entre les auditeurs ou les témoins qui ont quelque disposition à se les rendre propres. Celle-ci expliqueroit l’endémie du vampirisme des Hongrois et des Morlaques, et de quelques autres aberrations de cette nature qui se reproduisent infailliblement partout où elles ont éclaté, mais avec une intensité relative, suivant les conditions infiniment modifiables du temps, du lieu, de l’âge, du sexe et de l’éducation des sujets. Le somnambulisme, la somniloquie, le cauchemar surtout,