Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/235

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toit, messieurs, il y a trente ans, la propre nuit de la Toussaint, comme aujourd’hui, un peu avant les matines des morts.

— Comment ? dit Colas Papelin ; pensez-vous, ma bonne mère, qu’il y aura effectivement trente ans accomplis depuis ce jour ; trente ans à heure fixe, ni plus ni moins, quand sonneront les matines ?

— Il le faut bien, honnête monsieur Papelin, répliqua Huberte, puisque c’étoit en 1531. Je demandai à Tiphaine ce qui le décidoit à se lever de si bonne heure, pensant qu’il pouvoit être malade. — Remettez-vous, me répondit-il, et soyez sans crainte, bonne amie : c’est un mauvais songe qui m’a travaillé tout à l’heure, et dont il faut que j’aie mon cœur clair avant de me rendormir ; car les rêves sont quelquefois des avertissements du Seigneur. Il m’a semblé qu’on assassinoit le saint vieillard Odilon, et depuis que je suis réveillé, je ne sais quel bruit de plaintes et de gémissements me poursuit ; je compte vous rassurer dans un moment. — Sur cette parole, il courut à l’ermitage avec quelques-uns de ses ouvriers que tenoit le même souci, et ils reconnurent que le sommeil ne les avoit que trop bien instruits !…

— Le pauvre reclus étoit mort ! reprit Colas. Maître, entendez-vous ?…

— Il se mouroit quand Tiphaine arriva ; mais, quoiqu’il fût tombé sans conserver aucune apparence de vie aux yeux de son meurtrier, il s’étoit trouvé assez de forces un moment après pour se traîner au dehors de sa cellule, pendant que le misérable cherchoit inutilement les prétendus trésors qu’il venoit de payer de son âme !

— Et son meurtrier, c’étoit le monstre artificieux et détestable qui lui avoit dérobé son amitié et ses prières sous le masque de la dévotion ! Maître, entendez-vous ?…