tère. Pierre étoit un jeune homme de vingt-trois ans, foible de corps, mais infatigable de patience et de courage, qu’aucun soin ne rebutoit pour adoucir nos ennuis et pour secourir nos misères. Je ne vous donnerois qu’une idée imparfaite de sa physionomie résignée et non pas abattue, de son regard bleu, plein de compassion et de tendresse, de sa chevelure blonde, lisse, aplatie et coupée à angles droits, si je ne disois que vous avez pu remarquer des caractères pareils dans le type de nos bons paysans de montagne, ou dans les images des saints, tracées par un peintre naïf.
Pierre n’étoit pas un grand personnage, même en prison. Arrivé là, selon nos conjectures, par la protection de Lidivine, il n’y étoit guère que l’aide et le valet des guichetiers. J’appris tard que c’étoit son titre, et que ce titre, chose étrange, étoit une faveur acquise par sa bonne conduite. J’expliquerai cela tout à l’heure, si la mèche de ma lampe brûle encore.
Quoi qu’il en soit, j’avois été entraîné vers Pierre par cette sympathie d’âge qui rapproche si vite les jeunes gens, surtout quand ils sont malheureux, et par cette sympathie de croyances, le seul lien social que nos discordes politiques n’eussent pas rompu. Quand sa chemise s’entr’ouvrait dans quelque œuvre de force, à rafraîchir notre grabat en y introduisant une botte de paille neuve, ou à transporter un malade, j’avois vu souvent flotter sur sa poitrine le cordon du scapulaire. Peut-être aussi quelque instinct secret m’avertissoit que le Seigneur nous avoit imposé une vie commune de misère et de dévouement, et que notre bonheur, comme son empire, ne seroit pas de ce monde.
Notre chambrée, n° 6, étoit ordinairement ouverte par Pierre que nous chérissions tous ; et c’étoit un de ces égards auxquels nous reconnoissions la bienveillance de la geôle, car le salut religieux que Pierre nous adressoit chaque matin étoit pour nous comme une bénédiction