Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/65

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d’un enfant ; sa pureté étoit si parfaite, que la conversation la plus commune sur les choses les plus vulgaires de la vie étoit pleine, pour elle, d’objets d’étonnement. Elle avoit l’âge de la pudeur ; elle n’en avoit pas encore la révélation savante, si précoce chez les femmes. La sienne étoit un organe involontaire, irréfléchi, comme celui de la sensitive, qui se replie timidement sur elle-même au moindre contact, et qui n’a cependant aucune raison pour craindre d’être blessée.

Je ne vous ai rien dit de la seconde des demoiselles Labrousse, qui avoit trois ans de plus que celle-ci, et pourtant le ciel m’est à témoin que je ne l’oubliois pas. Angélique, c’est son nom, ne ressembloit, par ses traits, à personne de la famille ; elle ne ressembloit à aucune autre femme, et les femmes qui lui ont ressemblé sont fort rares sur la terre. Elle avoit d’ailleurs toute la bonté de ses parents, non plus sincère et plus affectueuse, mais plus expressive et plus ardente. Son esprit se distinguoit par une finesse exquise de perceptions, son cœur par une tendresse inépuisable de sentiments. Elle parloit fort peu, mais son regard plus animé, plus éloquent que la parole, sympathisoit comme un langage particulier de l’âme avec toutes les idées touchantes ou élevées. Cette communication de la pensée, qui résulte d’une émotion muette mais puissante, et qui se manifeste par je ne sais quelle effusion mystérieuse, c’étoit son langage. On la voyoit se répandre si naturellement autour d’elle, qu’il auroit fallu être indigne de l’entendre pour oser l’interroger. Les imaginations religieuses et recueillies dans leur foi conversent ainsi avec les intelligences supérieures, et c’est ainsi qu’elles comprennent ces voix sublimes qui vibrent inutilement pour les organes grossiers du vulgaire. Les anciens, qui attachoient une divinité familière à chaque foyer, l’auroient reconnue dans Angélique ; et vous ne me supposez pas assez maladroit dans la composition d’un conte pour