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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/67

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à notre nature commune, qu’on auroit dit qu’elle ne s’y étoit associée que par un effort de complaisance et de tendresse, et en se réservant à tout moment le droit de s’en aller. Si vous avez dormi de ce sommeil où la pensée suspendue ne dort pas encore ; si votre songe douteux a été flatté alors d’une illusion riante que vous auriez été heureux de prolonger, et dont vous vous êtes efforcé de retenir sans espoir la déception prête à s’évanouir ; si, dans cet état, vous avez prescrit l’immobilité à vos membres et le silence à votre souffle, de crainte de vous éveiller et de voir disparoître, avec le rêve enchanteur qui vous berce en fuyant, une erreur mille fois préférable à toutes les réalités de la vie, vous n’êtes pas trop éloigné de comprendre Angélique.

Je l’aimois comme il étoit permis de l’aimer, comme cette illusion qui échappe à l’âme, comme le songe qu’on essaie inutilement de fixer. Dieu sait que je ne m’étois jamais bercé près d’elle d’une trompeuse espérance, que je ne m’étois jamais promis de pouvoir l’appeler ma femme. Ses parents en décidèrent autrement. Ils étoient beaucoup plus riches que moi, mais ils me portoient une estime et un attachement qui sauvoient entre nous toutes les différences de la fortune. Mes fréquentes visites à la maison m’y avoient peu à peu rendu nécessaire, et on ne m’y désignoit plus que sous le nom de l’ami Jacques. Les douceurs de cette nouvelle intimité de famille étoient même parvenues à me distraire complètement du goût passionné qui avoit entraîné mon enfance vers les voyages et les aventures. Vous pensez bien qu’on n’eut pas besoin de sonder avec de grandes précautions mes sentiments pour Angélique. Je ne me connoissois aucune raison de les dissimuler à ses parents, et je les révélois à tout instant par les élans d’une admiration naïve. Pourquoi en aurois-je l’ait un mystère ? Ce n’étoit pas une passion, c’étoit une espèce de culte ; mais le bon sens naturel et la raison froide et posée de M. et de madame