Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/89

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chastes dans leur couleur ; d’en former des festons, des guirlandes et des bouquets qui attiroient à leur tour, par le grand vitrail ouvert au soleil levant, une multitude de papillons de pourpre et d’azur, fleurs volantes de la solitude. Parmi ces innocents tributs, la fleur de l’épine étoit toujours préférée dans sa saison ; et, contrefaite pour toutes les autres avec un art dont les bonnes religieuses avoient dès lors dérobé le secret à la nature, elle reposoit sur le sein de la belle madone, en touffe épaisse nouée d’un ruban d’argent. Les papillons eux-mêmes auroient pu s’y tromper quelquefois, mais ils n’osoient s’arrêter sur ces fleurs célestes qui n’étoient pas faites pour eux.

La sœur custode s’appeloit alors Béatrix. Âgée de dix-huit ans tout au plus, elle avoit, à peine entendu dire qu’elle fût belle, car elle étoit entrée à quinze ans dans la maison de la sainte Vierge, aussi pure que ses fleurs. Il y a un âge heureux ou funeste où le cœur d’une jeune fille comprend qu’il est créé pour aimer, et Béatrix y étoit parvenue ; mais ce besoin, d’abord vague et inquiet, n’avoit fait que lui rendre ses devoirs plus chers. Incapable de s’expliquer alors les mouvements secrets dont elle étoit agitée, elle les avoit pris pour l’instinct d’une pieuse ferveur qui s’accuse de n’être pas assez ardente, et qui se croit encore obligée envers ce qu’elle aime, tant qu’elle ne l’aime pas jusqu’à l’enthousiasme et jusqu’au délire. L’objet inconnu de ces transports échappoit à son inexpérience ; et parmi ceux qui tomboient, si l’on peut s’exprimer ainsi, sous les sens de son âme ingénue, la sainte Vierge seule lui paroissoit digne de cette adoration passionnée, à laquelle sa vie pouvoit à peine suffire. Ce culte de tous les moments étoit devenu l’unique occupation de sa pensée, le charme unique de sa solitude ; il remplissoit jusqu’à ses rêves de mystérieuses langueurs et d’ineffables transports. On la voyoit souvent prosternée devant le tabernacle, exha-