Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/91

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vous avez contracté, dans l’ignorance où vous étiez des sentiments naturels à tout ce qui respire, est nul devant Dieu comme devant les hommes. Vous avez trahi sans le savoir votre destinée d’amante, et d’épouse et de mère ! Vous vous êtes condamnée, pauvre et chère enfant, à des jours d’ennui, d’amertume et de dégoût, dont aucun plaisir n’adoucira désormais la longue tristesse ! Il est cependant si doux d’aimer, si doux d’être aimé, si doux de revivre par ce que l’on aime dans des objets que l’on aime ! Les joies pures d’une affection qui double, qui multiplie la vie ; la tendresse d’un ami qui vous adore, qui embellit tous vos moments, par des fêtes nouvelles, qui n’existe que pour vous chérir et pour vous plaire ; les caresses innocentes de ces jolis enfants, si frais, si gracieux, si joyeux d’être, et qu’un caprice barbare auroit abandonnés au néant ! voilà ce que vous avez perdu ! voilà ce que vous auriez perdu, ma Béatrix, si une obstination aveugle vous retenoit dans l’abîme où vous vous êtes plongée ! Mais non, continua-t-il avec une expansion plus vive encore, tu ne méconnoîtras point les intentions de ton Dieu et du mien, qui ne nous a rapprochés que pour nous réunir à jamais ! Tu te rendras aux vœux de l’amour qui t’implore et qui t’éclaire ! Tu seras l’épouse de ton Raymond, comme tu es sa sœur et sa bien-aimée ! Ne détourne pas de lui tes yeux pleins de larmes ! Ne lui arrache pas ta main qui tremble dans les siennes ! Dis-lui que tu es disposée à le suivre et à ne plus le quitter !… »

Béatrix ne répondit point ; elle n’avoit pu trouver des expressions pour rendre ce qu’elle éprouvoit. Elle s’échappa des bras affoiblis de Raymond, s’éloigna troublée, éperdue, palpitante, et alla tomber aux pieds de la Vierge, sa consolation et son appui. Elle y pleura comme auparavant, mais ce n’était plus d’une émotion inconnue et sans objet ; c’étoit d’un sentiment plus puissant que la piété, plus puissant que la honte, plus puis-