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rer l’intempérance habituelle de sa verve médisante, soit qu’il n’en sût réellement pas davantage, a laissé dans une obscurité presque impénétrable le secret de ces scandaleuses personnalités. Le titre même du libelle restoit à déterminer exactement, car si Brantôme et Regnier de la Planche l’appellent le Tigre, de Thou, qui n’a fait que traduire le vieil auteur dans un latin plus énergique et plus concis, et qui étoit plus compétent que personne en matière de bibliographie, n’est pas d’accord avec lui sur ce cas du substantif : « libellus incerto nomine, dit-il (Tome II, p. 9 de l’édition de Londres), In Guisianos scriptus, cui ob id Tigridi titulus prœfixus erat. » Trigridi signifie au Tigre, et non pas le Tigre, et telle devoit être en effet la forme de l’invective, si bien caractérisée par Brantôme.

La science des amateurs en étoit là, quand l’intelligente activité du libraire Techener a découvert dans une obscure bibliothèque de province un petit écrit de sept feuillets intitulé : Epistre enuoiée au tigre de la France[1], qui remplit toutes les conditions du libelle décrit par Brantôme, sur la foi de la tradition judiciaire ou de la tradition publique. L’imitation éloquente de la première Catilinaire y est sensible à toutes les phrases, et il suffit de citer les premières lignes de la copie, pour rappeler le modèle : « Tigre enragé, vipère venimeuse, sépulcre d’abominations, spectacle de malheur, jusques à quand sera-ce que tu abuseras de la jeunesse de notre roy ? ne métras-tu jamais fin à ton ambition démesurée, à tes impostures, à tes larcins, etc. » Tout le discours est soutenu comme celui de l’orateur romain sur ce ton d’apostrophe et d’imprécation. Il n’y a rien à opposer à cette preuve éclatante d’identité.

L’épisode relatif aux amours d’un grand et d’une grande est encore plus diffamatoire que la vague indication de Brantôme ne l’aurait fait supposer : « Tu fais profession de prescher de saincteté, toy qui ne connois Dieu que de parolle, qui ne tiens la religion chrestienne que comme un masque

  1. Voyez no 161 du Bulletin du Bibliophile, chez Techener, place du Louvre, no 12.