Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/16

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Je n’oserois dire qu’il en fût de même de la reliûre et de l’embellissement des livres, dont l’étude a été pour moi un goût d’instinct. Un des premiers besoins qui se révèlent chez l’homme, c’est celui d’orner ce qu’il aime. Il se complaît d’abord à la parure de sa mère, et puis à celle de l’autel où il prie, et de l’image du saint patron auquel il croit confier des vœux étendus. Quand son cœur s’ouvre aux passions de la vie, il prodigue à sa maîtresse les fleurs et les rubans. Quand son esprit perçoit des jouissances plus durables, quand il est parvenu à s’associer, dans un ordre de pensée plus élevé, aux découvertes de la science et aux conceptions du génie, il regrette que le maroquin, la soie et l’or ne soient pas assez riches pour décorer les chefs-d’œuvre de ces amis immortels que l’intelligence lui a donnés. Il lui semble que la pourpre n’est pas trop pour Cicéron, que le tabis aux ondoyantes couleurs n’est pas trop pour La Fontaine. Il comprend Alexandre qui renfermoit les livres d’Homère dans les somptueuses cassettes de Darius. Pourquoi sont faites les pompes de l’art manuel, de l’industrie mécanique, si ce n’est pour relever l’éclat de la beauté et de la gloire ? Il n’y a, en vérité, que ces deux choses-là qui méritent des flatteurs sur la terre. La vertu n’en veut pas.

Le XVIIe siècle qui produisoit pour l’avenir étoit fort étranger à cette élégante manie des siècles stationnaires qui ne produisent plus. La Bruyère appeloit les belles bibliothèques des tanneries, et il ne nous reste de celle de Racine qu’un certain nombre de volumes en veau brun qui sont en général fort pochetés. Le siècle des créations durables n’est pas celui des arts de luxe. Le premier brille de sa jeunesse, et le second d’une magnificence empruntée, comme les coquettes surannées qui ont été jolies. Des châsses dorées aux vieux saints ; des reliûres dorées aux vieux écrits.

Quand la reliûre s’empara des merveilles typographiques de l’âge d’invention, quiconque étoit lettré voulut avoir des livres, et j’en suis bien fâché pour la perfectibilité, la classe vraiment lettrée étoit infiniment plus nombreuse qu’aujourd’hui, à cette époque d’ignorance et de barbarie. C’est un grand déboire pour la vanité des peuples avancés ;