Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/189

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de Cicéron, où un livre insensé n’auroit trouvé ni copistes, ni acquéreurs.

La publicité ne mettoit en circulation chez les anciens que des ouvrages soumis à une censure préalable, car la pensée étoit soumise à une censure inflexible dans leurs républiques modèles, et j’ai déjà nommé le tyran qui l’exerçoit avec une autorité souveraine. C’étoit le sens commun, la bonne foi, la conscience, la raison unanime du peuple. Chez les modernes, la publicité verse dans la circulation immense des livres, sans examen et sans choix, tout ce qu’il y a de bon et d’utile, tout ce qu’il y a de mauvais et de dangereux, tout ce qu’il y a d’inepte et de ridicule, tout ce qui peut servir à éclairer les hommes sur leurs intérêts moraux ou à les perdre irréparablement jusqu’à la consommation des âges.

C’est grâce à un tel état de choses que la folie et les fous peuvent avoir quelques intérêts à démêler avec l’érudition bibliographique et la littérature. On ne se seroit pas avisé de ce phénomène du temps d’Aristote, d’Horace et de Quintilien.

Un des plus grands fous dont les quatre siècles de l’imprimerie me rappellent le souvenir, s’appeloit François Colonna, ou Columna. C’étoit un religieux dominicain de Trévise ou de Padoue, qui avoit perdu la tête de deux passions à la fois, et il n’en faut que moitié pour troubler un meilleur cerveau. La première étoit celle que lui avoit inspirée l’étude de l’antiquité et de ses monuments ; nous vivons heureusement à une époque où elle obtiendroit quelque indulgence. La seconde, qui en mérite davantage à mon avis, même dans un dominicain, c’étoit l’amour. Une Ippolita ou Polita qu’il a nommée Polia par respect pour le grec, et dont le baptême scientifique a donné lieu à d’étranges conjectures, acheva de lui déranger l’esprit, et comme il étoit écrit