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quelque place éminente dans les conseils secrets de l’empire et dans le conclave de Ménilmontant, « ce qui n’empêche pas qu’il y eût en lui un fou fanaticque, un fou fantasticque, un fou hyperbolicque, un fou proprement, totalement et compétentement fou », comme parle Rabelais, et ce qui prouve peut-être qu’il y en avoit deux.

La chimère incroyable de la Nouvelle Rédemption, par l’intermédiaire d’une vieille bigote vénitienne que Postel appelle la Mère Jeanne, est le sujet de trois de ses ouvrages, les Très merveilleuses victoires des femmes du Nouveau-Monde, Paris, 1553, in-16, le Prime nove de Altro Mondo, Venise, 1555, in-8o, et Il Libro della divina ordinatione, Padoue, 1555, même format. Ces deux derniers, dont je ne pense pas qu’il existe un autre exemplaire, et qui avoient été estimés trois cents francs par le libraire Martin, dans le catalogue de Boze, il y a quatre-vingt-deux ans, ont été vendus en un seul et mince volume au prix énorme de neuf cents francs, chez Gaignat, et offerts pour cinq cents chez Mac-Carthy. Ils ont passé de là dans mes mains, et je n’ai prétendu tirer de ces particularités bibliographiques qu’une induction de peu de valeur : c’est qu’aussitôt que la scribomanie a suscité un fou pour écrire de pareilles inepties, la bibliomanie ne manque jamais d’en susciter un autre pour les acheter.

J’espère qu’on ne me saura pas mauvais gré de franchir un siècle pour passer de Guillaume Postel à Simon Morin ; c’est un petit passe-droit que je fais subir à la chronologie au bénéfice de la logique, s’il peut toutefois être question de logique dans la bibliographie des fous. Simon Morin, dont les Pensées parurent en 1647, avoit en effet quelque parenté avec Postel dans le genre de ses visions, mais il ne peut lui être comparé en aucune manière sous le rapport du savoir. C’étoit un pauvre diable qui avoit commencé par le métier d’écrivain public et