Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/202

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qu’il l’avoit fait faire lui-même pour sa maison (la maison de Bluet d’Arbères !). L’évêque de Noyon lui en donna cinq testons en deux fois, aumône indigne d’un prélat opulent, même à l’égard du pauvre aux mains vides, qui n’apporteroit point de chandelier. Le triste métier de Bluet d’Arbères avoit ses chances. Pour la gloire éternelle des lettres, les chances favorables ont prévalu.

Je ne sais jusqu’à quel point on peut accorder confiance à l’opinion qui fait de Bluet d’Arbères un des prototypes de la censure, et qui établit sur des renseignements dont je n’ai jamais vérifié l’autorité incertaine, qu’il exerça pendant quelque temps un droit d’examen absolu sur les livres. L’idée de cette étrange sinécure d’un homme qui ne savoit pas lire, auroit eu du moins son côté ingénieux. S’il existoit alors une opposition politique, il étoit impossible de lui répondre en accordant à la licence de la presse une garantie plus bouffonne, le pouvoir est devenu plus réservé à mesure que l’opposition devenoit plus hostile. On n’est plus censeur à moins de savoir lire.

Il en fut du destin de Bluet d’Arbères comme de la plupart des belles choses de ce monde ; il s’éteignit avant l’âge de quarante ans, à la manière des simples mortels, sans laisser d’autre héritage qu’une obligation en bonne forme, par laquelle un de ces petits Jans pill’hommes dont il est question dans Rabelais, s’engage à lui faire faire un habit neuf. Il ne résulte pas des recherches que nous avons faites à son égard, que cet honnête seigneur ait payé son cercueil. J’aime à penser que Dubois, Gaillard, Braquemart et Neuf-Germain portèrent les quatre coins du poêle funèbre. C’étaient des fous de même force, et dont je me proposois de vous entretenir aujourd’hui, si la difficile biographie de Bluet d’Arbères n’avoit pas usé mon encre et lassé mon courage. Je puis