Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/215

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son vers et le mien toute la distance qui sépare la versification de la poésie. Cette digression, dont la nécessité ne paroîtra peut-être pas démontrée à tout le monde, me ramène heureusement au vers délicieux de Jasmin. Voyez comme mon poète gascon et mon poète parisien se sont merveilleusement entendus, sans se connoître, sur un sentiment poétique. L’Aurore de Jasmin, et vous me permettrez de dire que c’est bien la sienne, déverrouille les portes du matin, mais elle le fait sans bruit, comme une déesse qu’elle est, déesse paisible et silencieuse qui ne s’annonce aux mortels que par sa lumière. C’est cette parfaite convenance de l’expression avec la pensée qui caractérise les bons écrivains. Le vulgaire ne s’en doute pas.

Le Charivari n’est pourtant qu’un ouvrage d’art, et, s’il m’est permis de répéter une nouvelle locution convenue, qu’un chef-d’œuvre de facture. Que dirois-je de ce Tres de may, qui commence par la plus naturelle et la plus magnifique des prosopopées ! que dirois-je surtout de ce poème enchanteur, Mous Soubenis (Mes Souvenirs), merveille ingénue de gaîté, de sensibilité, de passion ! J’ai usé les formules de l’enthousiasme, et je les regrette, parce que c’est ici qu’il falloit les prodiguer. Il n’y a presque rien dans les modernes, presque rien dans les anciens qui m’ait plus profondément ému que les Souvenirs de Jasmin. Heureux et jolis enfans de la Guienne et du Languedoc, lisez et relisez les Souvenirs de Jasmin, et, dût-on vous fermer impitoyablement les écoles publiques où l’on enseigne de si belles choses, apprenez-les par cœur pour ne les oublier jamais. Vous saurez de la poésie tout ce qu’on peut en savoir.

Il y a dans Montaigne un admirable chapitre intitulé : des Cannibales, où il traite des peuples de l’Amérique nouvellement découverte, et qui finit par ces paroles :