Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/28

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lucinations du libertinage, purissimus in impuritate, comme disent les doctes. L’étrangeté nouvelle de quelques formes de diction ne prouve rien pour l’opinion de Voltaire. Ces formes changent vite quand il s’est manifesté dans les mœurs un changement immense et soudain. Le style de Crébillon fils est plus éloigné de celui des Oraisons funèbres, le style de Beaumarchais plus éloigné du style de Buffon que celui du Satyricon et celui des Catilinaires, bien que chez nous le mouvement ait été moins sensible et l’intervalle moins long. Le Satyricon est donc en effet de Pétrone, mais il n’est point dirigé contre Néron, dont, au contraire, il a probablement égayé les orgies. Voilà ce qu’il convient de dire mieux que je ne l’ai fait, et de développer avec plus d’étendue et de puissance.

La même question se renouvelle à l’égard de Rabelais, dont on a trop long-temps étouffé l’ingénieux badinage sous d’absurdes et insipides commentaires historiques. Il faut avoir bien mal lu et bien mal jugé le grand satyrique du genre humain, pour le réduire de gaîté de cœur aux proportions ignobles d’un méchant libelliste. Rabelais voyoit de trop haut dans les choses de la vie pour broder sa fable rieuse sur les intrigues mesquines de la cour. Il a fait une satyre, sans doute, mais c’est la satyre du monde, et non pas celle d’un palais. Les critiques à vues étroites qui ne connoissent des choses que leur figure matérielle et leurs traits saillants, se livrent d’abandon à ce système d’interprétation, parce qu’ils ne conçoivent pas qu’un esprit supérieur ait jeté ses regards plus loin qu’eux, et jusques dans une région d’idées où ils ne pénétreront jamais. Il résulte de là qu’en croyant nous donner la mesure de l’auteur qu’ils expliquent, ils ne nous donnent effectivement que la leur, dont la postérité se passera sans peine. Que nous importe ce qu’un Le Motteux a cru voir dans Rabelais, si Molière, La Fontaine, Sterne et Beaumarchais n’y ont pas pris garde ? La glose de pareilles gens n’est bonne qu’aux lecteurs pour qui le texte n’est pas fait.

Je n’ai pas l’intention de contester que Rabelais se soit souvent exercé sur la satyre immédiate, sur le personnage contemporain, sur l’anecdote du jour. Tout cela étoit de bonne