Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux du labyrinthe qui nous en fera sortir. Il n’est bon qu’à nous y perdre. Pour lire avec fruit Rabelais, pour en abstraire la véritable quintessence, il faut un certain fonds de scepticisme et une certaine portée d’esprit. Voilà, selon moi, la seule clef de son livre.

Ajoutez surtout, et il en est temps pour l’honneur des commentateurs et des philologues, que ces prétendues interprétations, suffisamment éclaircies aujourd’hui par les nouvelles recherches bibliographiques, reposent presque toutes sur des anachronismes grossiers. Il paroît maintenant incontestable que le Gargantua fut composé dès 1528, époque où la duchesse d’Estampes n’avoit que vingt ans, et le crédit de Diane de Poitiers ne commença que vers 1547, c’est-à-dire long-temps après la publication des trois premiers livres où l’on veut qu’elle soit désignée. Rabelais étoit certainement bien capable de prévoir les événements rationnels de l’avenir, et il l’a prouvé dans la Prognostication pantagrueline ; mais son génie de Python n’alloit pas jusqu’à la perception de l’inconnu. Rendez donc ces fantaisies chimériques aux songe-creux qui les ont converties en systèmes, et pour parler comme Rabelais lui-même, ne calefretez plus des allégories qui ne furent oncques songées. À cela près de ces allusions dont j’ai parlé, et qui se révèlent d’elles-mêmes à un éditeur judicieux, Rabelais ne demande qu’un commentaire lexique et littéraire, suivi de bons index de locutions comme M. de l’Aulnaye les a faits, et surtout d’un ample index de mots, comme M. de l’Aulnaye auroit pu le faire. Ce sera là un vrai thesaurus verborum, car toute la langue françoise du temps de Rabelais y entrera, et, ce qui n’est pas à dédaigner, toute la langue de Rabelais par-dessus le marché.

Le plus malheureux des auteurs auxquels on a donné la clef satyrique, c’est à coup sûr le tendre Fénélon qui n’avoit pas cru nourrir dans son cœur une si implacable malice. Fénélon avoit sans doute assez de courage, car l’amour de l’humanité en donne beaucoup, pour parler hardiment aux rois des devoirs qu’ils ont à remplir et des fautes où ils peuvent tomber. Tel est même le but essentiel du Télémaque, telle est la vue générale dans laquelle il est composé, et il n’est pas