Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/86

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N’est-ce donc rien que cet art délicat d’introduire, au milieu des bouffonneries de l’esprit qui s’amuse, le sentiment qui touche et la raison qui éclaire ? Il y a dans les Chroniques dix traits pareils qui font pressentir de loin l’admirable concion de Gargantua aux vaincus, et ces excellents enseignements sur l’éducation des Princes, que l’homme de France le plus capable de les apprécier, M. Guizot, plaçoit, il y a quelques années, au nombre des chefs-d’œuvre théoriques de la science d’instruire. Je conviens toutefois qu’il n’y a pas une identité de style suffisamment démontrée entre les essais et le livre, comme l’appeloit le cardinal Du Bellay, mais Rabelais lui-même ne l’auroit-il pas reconnu en publiant un second thème de Gargantua ; et quel écrivain fut jamais plus habile à varier, selon sa matière ou son caprice, les formes de la parole ? M. Brunet lui-même nous a démontré qu’il lui avoit donné quelquefois une apparence de vétusté barbare, pour antiquer la couleur de ses tableaux. C’est ainsi que vers la fin du prologue de Pantagruel, il avoit d’abord écrit dans l’édition gothique in-4o : Je men suiz venu visiter mon pays de vache, et sçavoir s’il y avoit encores en vie nul de mes parents ; ce qui est la construction naturelle, dès-lors françoise comme elle est françoise aujourd’hui ; tandis qu’on lit dans les éditions postérieures : Et sçauoir si en vie estoit parent mien aulcun, leçon beaucoup plus archaïque, et cependant plus nouvelle.

Admettons maintenant que Rabelais, dans un accès d’humeur joyeuse et cervantesque, se soit ébaudi à parodier grotesquement les extravagantes fictions des romans de chevalerie, sans y attacher plus d’importance