Page:Nodier - Les Femmes celebres contemporaines.pdf/463

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correct, élégant ; mais calme, doux, paisible, honnête, retenu, ayant peur de tout ce qui lui semblait hasardé ; l’autre, au contraire, fougueux, bouillant, osant tout et ne s’arrêtant guère que devant le barbarisme, par un merveilleux instinct de grand écrivain. C’est en effet une chose étrange qui embarrassera très-fort les critiques à venir, quand on leur dira : Voici un livre écrit par un homme et par une femme ; dites-nous quelles sont les pages écrites par celui-ci, et quelles sont les pages écrites par celle-là ? Et aussitôt les Saumaises futurs se mettront à l’œuvre. Et voyant d’un côté des pages simples, faciles, remplies de pudeur et de retenue, ils diront : À coup sûr, ceci est l’œuvre d’une femme ! Et voyant des chapitres entiers furibonds, emportés, tout nus et remplis des plus chauds détails de la passion et qu’on dirait écrits par une main de fer avec une plume de fer, ils diront : À coup sûr c’est un homme, et un homme fort, qui a écrit ces lignes ! Or, si les critiques disent cela, ils se tromperont deux fois ; ils attribueront à l’homme ce qui est à la femme, et à la femme ce qui est écrit par le jeune homme. Jamais on n’a préparé plus de tortures aux Saumaises futurs que George Sand.

Cependant cette confusion dans ses deux natures ne pouvait longtemps convenir à George Sand. Cette femme célèbre entre toutes les femmes célèbres, et dont l’apparition eût fait mourir de chagrin et de douleur, elle-même madame de Staël, si madame de Staël eût été sa contemporaine, George Sand voulait être à toute force un homme. C’était là plus que son ambition, plus que sa destinée, c’était sa nature. Tout ce qu’il y avait en elle de viril se révoltait à outrance, quand, par hasard entraînée par la force de l’habitude, elle redevenait de temps à autre une femme ; quand son cœur battait comme bat d’ordinaire le cœur d’une femme, quand ses yeux se