Page:Nonnos - Les dionysiaques ou Bacchus, poème en 48 chants, trad Marcellus, 1856.djvu/91

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ton forgeron Vulcain pour y fabriquer à ta nouvelle épouse, soit un riche et brillant collier, dont l’émail siéra si bien à son cou, soit de merveilleuses chaussures qui, par leur richesse, puissent réjouir ta compagne ; ou bien un autre trône d’or afin que ta Junon sourie en se voyant maîtresse du plus beau siège de l’Olympe. D’ailleurs les Cyclopes de la terre que tu as transportés dans le ciel, sauront bien y renouveler et y perfectionner tes foudres. Enfin cet Éros qui t’a trompé en te flattant de l’espoir du triomphe, attache-le par une chaîne d’or avec la Vénus Dorée, et par des liens de fer retiens aussi Mars armé de fer.

«  Mais quoi ! les éclairs fuient et désertent le combat. Comment n’as-tu donc pas su éviter un trait de feu si insignifiant et si inoffensif ? Comment, avec tant d’innombrables oreilles pour l’entendre, es-tu surpris et effrayé d’un si faible bruit de la pluie et du tonnerre ? Qui t’a fait si timide ? Où sont tes armes ? Tes têtes de chiens ? les gueules béantes de tes lions ? et le long mugissement de tes gosiers sonores ? Où sont les dards de ta chevelure de serpents, qui porte si loin son ombre ? Qu’as-tu fait des sifflements de leurs anneaux, des beuglements de tes taureaux, de tous tes bras qui lancent les sommets des collines, et des horribles grincements de ton ourse furieuse ? Tu ne troubleras plus maintenant les astres dans leur cours, et tes sangliers ne blanchiront plus de l’écume de leurs gosiers leurs longues défenses.

«  Fils de la Terre, cède aux habitants des cieux ; une seule de mes mains est venue à bout de tes deux cents bras. Je veux que la Sicile, aux trois têtes, écrase de ses collines, aux précipices escarpés, Typhée tout entier ; ce Typhée dont les cent têtes sont là, souillées de poussière. Misérable ! bien que, dans ton orgueil et dans tes folles illusions, tu aies assailli l’Olympe lui-même, je vais te dresser un tombeau ; mais, sur ce dernier monument vain et vide, je veux, impie, je veux graver ces paroles :

« Voici le sépulcre de Typhée, né de la Terre, qui tenta jadis de lapider le ciel, et que le feu du ciel a consumé[1]. »

C’est ainsi que Jupiter raillait le cadavre inanimé du fils de la Terre.

Cependant le Taurus de la Cilicie mugit, et, par le clairon de ses roches, sonne la victoire du souverain des dieux. Le Cydnus, en tournant sur ses pieds humides, saute de joie, et versant ses flots au sein de Tarse, qu’il habite depuis leur commune enfance, il murmure le triomphe de Jupiter. La Terre, réduite à ses rochers, pleure et s’incline ; elle met en pièces ses voiles ; et, comme dans le mois qui voit tomber les feuilles, elle attache à son front une boucle touffue de sa chevelure de forêts qu’ont détachée les vents, et non les ciseaux des funérailles. Elle déchire ses joues ravinées, et verse par torrents des larmes que les fleuves répandent, hors de ses flancs, à grand bruit. Des tourbillons impétueux, chassés par les membres de Typhée, séchappent sur les flots, les balayent es les obscurcissant, enveloppent les vaisseaux, galopant sur les vagues,

  1. Épitaphe deTyphée. En regard de cette épitaphe de Typhée, pour faire diversion à toutes ces monstrueuses images de dragons, et au deuil de la Terre sa mère, voici son portrait peint par Scarron : Je chante l’horrible Typhon, Au nezt crochu comme un griffon, A qui cent bras longs comme gaules Sortaient de deux seules épaules, Entre lesquelles on voyait Tête qui le monde effrayait ; Tête qui n’était pas à peindre, Mais tête à redouter et craindre. Au reste, d’esprit si quinteux Que j’en suis quelquefois honteux.