Page:Nonnos - Les dionysiaques ou Bacchus, poème en 48 chants, trad Marcellus, 1856.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Après ces mots, le fils de Saturne prend congé du fils d’Agénor, et ramène rapidement son char d’or dans le sein des astres. La Victoire s’y place à côté de lui, et dirige de son fouet céleste les coursiers de son père. A leur retour, les Heures triomphantes ouvrent toutes les portes du ciel, et couronnent les airs. Les dieux, revenus avec le vainqueur dans l’Olympe, quittent leurs ailes empruntées, en reprenant leur ancienne forme ; Minerve paraît sans armes, revêtue des plus molles tuniques, et se livre à une danse joyeuse et guerrière, dont la Victoire fait entendre l’harmonie. Enfin Thémis suspend aux portiques les plus élevés du ciel les trophées du combat ; et afin d’effrayer à l’avenir la mère des géants, elle montre à la terre épouvantée les dépouilles de Typhée foudroyé[1].


Notes :

  1. Les deux premiers chants. — Ces deux chants, qui semblaient présenter au lecteur superficiel un ensemble et un drame complets, eurent, il faut le croire, un grand succès à Alexandrie, où les Titanomachies et les Gigantomachies, fictions presque burlesques d’un culte mourant, étaient fort à la mode. C’est pour cette raison sans doute que leur texte, plus souvent copié, offre bien moins de fautes ; il s’ensuit que le distique si incomplet, consacré par l’Anthologie à la mémoire de Nonnos, et que j’ai donné à la fin de l’introduction, fait mention seulement des combats de Bacchus contre les géants, ce

    no match

    qui se rapporte sans doute à ces deux premiers livres, bien qu’on n’y voie que Typhée, et que le paragraphe où il cet question des géants de la Thrace tienne si peu de place dans le quarante-huitième et dernier. Cet exorde, qu’on avait séparé ou répandu dès la composition, se rattachait cependant bien naturellement à Bacchus, et pouvait devenir, à juste titre, l’épisode d’une épopée qui portait son nom, puisqu’elle expliquait le côté terrestre de son origine, et l’honneur réservé à son aïeul Cadmus par le souverain des dieux de porter le culte phrygien et la civilisation dans la Grèce.


Cherche dans ce troisième chant le vaisseau errant de Cadmus, le palais d’Électre, et sa table hospitalière.

Le combat avait cessé à la fin de l’hiver. Orion se levait et commençait à montrer auprès de son baudrier sans nuage la surface de son glaive étincelant. Le Taureau submergé se dégageait de ses frimas et de la mer qui l’entoure. Au penchant de l’Ourse haletante, mère des pluies, les eaux ne promenaient plus de marbre dans leur cours pétrifié. Le Massagète, qui imprime sur les courants les traces de ses chars de bois, ne ramenait plus sa maison à travers les sillons des flots glacés de l’Iister[1]. Déjà la saison, prête à enfanter le Zéphyre et son avant-courrière, enivrait les brises humides du parfum de ses calices entr’ouverts ; déjà la plaintive messagère des beaux jours, l’hirondelle, apparaissait ; et revenant habiter auprès des hommes, les réveillait au matin de ses cris babillards. La fleur s’échappait de son enveloppe embaumée, et souriait baignée des rosées fécondes du printemps.

Cependant Cadmus, aux premières lueurs de l’aurore, se hâte de quitter le séjour des Ciliciens où naît le safran[2], et les sommets élevés et anguleux du Taurus. C’est la saison de la navigation, et il fait détacher les câbles qui retiennent les vaisseaux à la terre. Le mât à la pointe élevée, qui frappe de sa tête le haut des airs, se dresse et s’affermit ; les souffles du matin soulèvent doucement la mer, et font d’abord entendre le faible murmure qui les précède  ; insensiblement la vague recourbée sous des haleines successives, grossit et interrompt les danses des dauphins

  1. Les Massagètes. -- Les Massagètes et Tomyris leur reine, dont Hérodote nous fait de si merveilleux récits, et qu’il place au Levant de l’Araxe, ne peuvent pas être ces mêmes Massagètes, dont le climat est si rigoureux. Ceux-ci, chez Nonnos, se trouvent du côté des Scythes, et rappellent les beaux vers de Virgile : [3,360] concrescunt subitae currenti in flumine crustae, undaque iam tergo ferratos sustinet orbis, puppibus illa prius, patulis nunc hospita plaustris ; (Géorgiques) Des croûtes de glace subites se forment sur le cours des fleuves, et bientôt l’onde supporte des roues cerclées de fer ; hier elle accueillait des poupes, elle accueille maintenant de larges chariots.
  2. Le safran (crocus). — Est originaire de la Cilicie ou du moins, c’est en Cilicie que se trouve le safran de Coryce, le meilleur des safrans, Cf. Horace, Sat., II, 4, 68. Les habitants du pays, excellents horticulteurs, protégeaient par des lames de verre ces plantations de safran.