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LE MYSTICISME

direct avec l’intensité de l’excitation qui lui est amenée. D’autre façon se comporte un organisme dégénéré ou épuisé. Chez celui-ci le cerveau peut avoir perdu son excitabilité normale ; il est obtus, et les excitations qui lui sont amenées ne rébranlent que faiblement. Un tel cerveau ne parvient jamais à élaborer des aperceptions nettement délimitées. Il pense toujours d’une façon phantomatique et vague. Mais je n’ai pas à décrire longuement les particularités de son fonctionnement, car un cerveau obtus existe rarement chez le dégénéré supérieur et ne joue aucun rôle en littérature et en art. Le possesseur d’un cerveau difficilement excitable a bien rarement l’idée de faire des vers ou de peindre. Il ne compte que comme public prédestiné et reconnaissant du mystique créateur. L’excitabilité insuffisante peut ensuite être un attribut des nerfs sensitifs. Ce trouble occasionne des anomalies de la vie intellectuelle sur lesquelles je m’étendrai dans le livre suivant. Enfin, au lieu d’obtusion, il peut y avoir de l’hyperexcitabilité, et celle-ci peut être propre à tout le système nerveux et au cerveau ou seulement à quelques portions de celui-ci. L’hyperexcitabilité générale donne ces natures maladivement sensitives qui tirent des phénomènes les plus indifférents les impressions les plus étonnantes, entendent les « sanglots du crépuscule », frissonnent au contact d’une fleur, distinguent dans le murmure de la brise d’effrayantes prophéties et de terribles menaces, etc. [1]. L’hyperexcitabilité de quelques

  1. Gérard de Nerval, Le Rêve et la Vie. Paris, 1868, p. 53. « Tout dans la nature prenait des aspects nouveaux, et des voix secrètes sortaient de la plante, de l’arbre, des animaux, des plus humbles insectes, pour m’avertir et m’encourager. Le langage de mes com-