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maintes fois des écrivains et des artistes. Mais ces derniers présentent les mêmes traits intellectuels — et le plus souvent aussi somatiques — que les membres de la même famille anthropologique qui satisfont leurs instincts malsains avec le surin de l’assassin ou la cartouche du dynamiteur, au lieu de les satisfaire avec la plume et le pinceau.

Quelques-uns de ces dégénérés de la littérature, de la musique et de la peinture ont, dans ces dernières années, obtenu une vogue extraordinaire, et de nombreux admirateurs les exaltent comme les créateurs d’un art nouveau, les hérauts des siècles à venir.

Ce n’est pas là un phénomène indifférent. Les livres et les œuvres d’art exercent sur les masses une puissante suggestion. C’est en eux qu’une époque puise son idéal de morale et de beauté. S’ils sont absurdes et anti-sociaux, ils exercent une influence troublante et corruptive sur les vues de toute une génération. Celle-ci, notamment la jeunesse impressionnable et facile à l’enthousiasme pour tout ce qui est étrange et semble nouveau, doit donc être avertie et éclairée sur la nature réelle des créations aveuglément admirées. La critique ordinaire ne le fait pas. Une culture exclusivement littéraire-esthétique est aussi la plus mauvaise préparation imaginable pour bien reconnaître le caractère pathologique des œuvres de dégénérés. Le rhéteur qui moud des phrases expose avec plus ou moins d’agrément, de boursouflure ou d’esprit, les impressions subjectives qu’il reçoit des œuvres critiquées, mais il est incapable de juger si ces œuvres sont les produits d’un cerveau malade, et de quelle nature est le trouble d’esprit qui s’y révèle.

Or, j’ai entrepris d’examiner les tendances à la mode