guera néanmoins facilement l’homme sain de celui qui mérite la désignation de mystique. Il y a pour les deux un critérium sûr. L’homme sain est capable de tirer de ses perceptions immédiates des aperceptions à contours nets et de saisir leur véritable rapport. Le mystique, au contraire, mêle ses représentations- frontières ambiguës et nuageuses à ses aperceptions immédiates mêmes, qui par là sont embrouillées et obscurcies. Le paysan le plus superstitieux lui-même a des aperceptions sûres de son travail des champs, de l’alimentation de son bétail et de la surveillance de sa borne. Il se peut qu’il croie à la sorcière de la pluie, parce qu’il ne sait pas comment la pluie se produit, mais il ne s’attend pas un seul moment à ce que les anges viennent labourer pour lui. Il fait peut-être bénir son champ, parce qu’il ignore les véritables conditions de la prospérité ou du dépérissement de sa moisson, mais, malgré sa confiance en une faveur surnaturelle, il n’omettra jamais de semer son blé. Chez le mystique proprement dit, au contraire, l’incompréhensible étant l’informe, pénètre et envahit toutes les aperceptions, même celles de son expérience journalière ; son manque d’attention le rend incapable de reconnaître le véritable enchaînement des phénomènes même les plus simples et dont les rapports sont les plus facilement visibles, et le conduit à leur assigner comme cause une des aperceptions nébuleuses insaisissables qui voguent et ondoient dans sa conscience.
Cette caractéristique du mystique ne s’applique aussi complètement, dans l’histoire de l’art et de la poésie de ce siècle, à aucun autre groupe d’hommes qu’aux auteurs