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LE MYSTICISME

avec des couronnes dans leur chevelure d’or et des pages avec des loques à plumes, cela s’explique par les modèles qui flottaient, inconsciemment peut-être, devant l’esprit des préraphaélites.

Les mouvements en art et en littérature ne naissent pas soudainement et par génération spontanée. Ils ont des aïeux dont ils descendent par une filiation naturelle. Le préraphaélisme est un petit-fils du romantisme allemand et un fils du romantisme français. Mais dans ses pérégrinations à travers le monde, le romantisme, sous l’influence des dispositions changeantes des époques et du caractère particulier des différents peuples, a subi de telles altérations, qu’à peine un léger air de famille rappelle l’ancêtre allemand dans le rejeton anglais.

Le romantisme allemand était dans son principe une réaction contre l’esprit des encyclopédistes français, qui avaient dominé sans conteste le xviiie siècle. Leurs critiques des antiques erreurs, leurs nouveaux systèmes, qui voulaient expliquer les énigmes du monde et de la nature humaine, avaient d’abord séduit et presque enivré. Ils ne pouvaient cependant satisfaire d’une façon durable, car ils commettaient dans deux directions une lourde erreur. Ils interprétaient le monde phénoménal avec une connaissance insuffisante des faits et tenaient l'homme pour un être raisonnable. Fiers de leur penser rigoureusement logique, mathématique, ils ne voyaient pas que c’était là une méthode de connaissance, mais non la connaissance elle-même. L’appareil logique est une machine qui peut seulement élaborer la matière qu’on y a mise. Si cette machine n’est pas nourrie, elle tourne à vide, fait du bruit,