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Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/161

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LES PRÉRAPHAÉLITES

sivement picturale, qui a choisi le sujet et l’a livré, pour être représenté, aux facultés picturales proprement dites. L’impression exercée par l’anecdote n’est pas produite par les moyens de la peinture. Elle n’a pas pour raison le plaisir causé au spectateur par la couleur, l’illusion de la réalité, la compréhension meilleure de l’objet, mais un penchant préexistant quelconque, un souvenir, un préjugé. Un tableau pictural, la « Mona Lisa » du Léonardo, transporte d’admiration tous ceux dont l’œil possède une éducation suffisante. Un tableau anecdotique, qui ne se distingue pas en même temps par des qualités purement picturales, laisse froids tous ceux à qui l’anecdote en elle-même est indifférente, c’est-à-dire ceux à qui elle serait indifférente si elle ne leur était pas présentée par les moyens propres à la peinture, mais simplement racontée, par exemple. Une icône russe émeut le moujik et laisse froid le connaisseur occidental. Un tableau représentant une victoire de l’armée française sur les troupes prussiennes toucherait et charmerait les philistins français, même s’il était peint dans le style des images d’Épinal.

Assurément, il y a une peinture qui ne veut pas fixer et évoquer dans le spectateur les impressions du sens visuel et les émotions directement excitées par elles, mais veut exprimer des idées, et dans laquelle le tableau ne doit pas agir par lui-même, par sa propre perfection artistique, mais par son contenu intellectuel ; seulement, cette peinture a un nom particulier : elle s’appelle l’écriture ; ses signes, qui doivent avoir non point une valeur picturale, mais uniquement la valeur de symboles, dans lesquels nous faisons abstraction de la forme pour ne nous