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LE MYSTICISME

est une supposition, et non une perception. La distinction de l’essentiel d’avec l’accidentel dans l’objet est abstraction, travail de l’intellect, non de l’œil et du sentiment artistique. Or, la peinture a pour objet, d’après son essence, le visible et non le conjectural, le réel et non le possible et le vraisemblable, le concret et non l’abstrait. Retrancher du phénomène certains traits comme non essentiels et accidentels et retenir les autres comme essentiels et nécessaires, c’est réduire le phénomène à un schéma. Mais la tâche de l’art n’est pas de schématiser, elle est d’individualiser. D’abord, parce que le schéma a pour prémisse une représentation de la loi qui détermine l’objet, que celte représentation peut être erronée, qu’elle change avec les théories scientifiques régnantes, et que le peintre ne reproduit pas des théories scientifiques changeantes, mais des impressions sensorielles ; ensuite, parce que le schéma éveille un travail de pensée et non une émotion, et que la tâche de l’art consiste à éveiller des émotions.

Les préraphaélites, toutefois, n’avaient aucune compréhension de ces contradictions, et ils obéirent aveuglément à toutes les consignes de Ruskin. Ils schématisèrent la forme humaine, mais reproduisirent fidèlement tous les accessoires, et n’eurent pas « l’effronterie, l’impuissance ou l’insolence » d’y changer quelque chose. Ils peignirent avec la plus pénible exactitude le paysage qui servait de cadre à leurs personnages et les objets qui les entouraient. Le botaniste peut déterminer chaque graminée, chaque fleur ; le menuisier, reconnaître l’assemblage ou le collage de chaque escabeau, l’essence du bois, le vernis des meubles. Et cette netteté consciencieuse est, ajoutons-le.