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LE MYSTICISME

quel abri est encore versé sur lui, quelles eaux reflètent encore ses feuilles déchirées ? Ton âme est l’ombre qui s’attache autour de lui, pour l’aimer, et les pleurs sont son miroir profondément enfoncé dans ton cœur [1] ».

La particularité de semblables alignements de mots est que chaque mot isolé a par lui-même un sens émotionnel (comme cœur, verdure, fuir, tomber, fleur, déchiré, sombre, aimer, pleurs, etc.), et qu’ils se suivent dans un rythme berçant et avec des rimes qui flattent l’oreille. Ils éveillent en conséquence facilement chez le lecteur émotif et inattentif une émotion générale, comme fait aussi une série de notes musicales sur le mode mineur, et le lecteur s’imagine comprendre la strophe, tandis qu’en fait il interprète seulement sa propre émotion d’après son degré de culture, son caractère et ses réminiscences de lectures.

Outre Dante-Gabriel Rossetti, on range habituellement parmi les poètes préraphaélites Swinburne et Morris. Mais la ressemblance de ces deux poètes avec le chef de l’école est pourtant éloignée. Swinburne est un « dégénéré supérieur » dans le sens de Magnan, tandis que Rossetti doit être rangé parmi les « imbéciles » de Sollier. Swinburne n’est pas aussi émotif que Rossetti, mais il est intellectuellement à un niveau beaucoup plus élevé que celui-ci. Ses idées sont fausses et fréquemment délirantes, mais il a

  1. Poems, p. 247 :

    … My heart, when it Aies to thy bower,
    What does it find there that knows it again ?
    There it must droop like a shower-beaten flower,
    Red at the rent core and dark with the rain.
    Ah ! yet what shelter is still shed above it, —
    What waters still image its leaves torn apart ?
    Thy soul is the shade that clings round it to love it,
    And tears are its mirror deep down in thy heart.