Aller au contenu

Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
LE MYSTICISME

de beaucoup de poèmes français où l’on ne fait plus que balbutier et bégayer, et où, comme dans une chambre d’enfants, on rampe en quelque sorte sur quatre pattes.

Swinburne marche sur les traces de Baudelaire quand, dans Anactoria, il cherche à contracter son visage en une grimace démoniaque et fait dire par une femme à une autre femme qui lui a inspiré un amour contre nature : « Je voudrais que mon amour pût te tuer. Je suis rassasiée de te voir vivre, et voudrais bien t’avoir morte. Je voudrais que la terre eût ton corps comme fruit à manger, et qu’aucune bouche, mais seulement quelque ver, te trouvât douce. Je voudrais imaginer de cruelles façons de t’assommer, des inventions violentes et un excès de torture… Oh ! si j’osais t’anéantir en t’écrasant d’amour, et mourir, mourir de ta douleur et de mes délices, et me mêler à ton sang et me fondre en toi ! » Ou quand il maudit et blasphème, comme dans Before dawn : « De la pudeur je voudrais dire : qu’est-ce ? De la vertu : nous n’avons que faire d’elle. Du péché : nous voulons l’embrasser, et il n’est plus le péché ».

Un poème mérite une analyse plus étendue, parce qu’il contient incontestablement en germe le futur « symbolisme » et constitue un exemple instructif de cette forme du mysticisme. Ce poème a pour titre La Fille du Roi, C’est une sorte de ballade qui raconte, en quatorze strophes de quatre vers, l’histoire fantastique de dix filles de roi dont l’une, préférée aux neuf autres, est magnifiquement vêtue, nourrie de mets délicieux, mollement couchée et distinguée par un beau prince, tandis que ses sœurs restent délaissées ; au lieu, toutefois, de trouver le