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LES PRÉRAPHAÉLITES

une impression passablement étrange, quand on le voit s’exprimer dans le langage des vieilles ballades.

Les préraphaélites ont exercé une grande influence sur la génération de poètes anglais apparue depuis vingt ans. Tous les hystériques et les dégénérés ont, après Rossetti, chanté la « damozel » et la Sainte Vierge ; après Swinburne, célébré les désirs contre nature, le crime, l’enfer et le diable ; après Morris, écorché la langue archaïque dans le ton des scaldes et à la manière des Contes de Canterbury ; et si aujourd’hui toute la poésie anglaise n’est pas sans mitigation préraphaélite, elle le doit uniquement au hasard heureux d’avoir possédé, simultanément avec les préraphaélites, un poète aussi sain que Tennyson. Les honneurs officiels qui lui furent départis comme « poète lauréat », les succès sans exemple qu’il obtint auprès des lecteurs, le désignèrent à l’imitation d’au moins une portion des petits ambitieux et des pasticheurs ; et c’est ainsi que, à côté du chœur des mystiques portant des lis à la main, on a pu entendre aussi d’autres chanteurs des rues répétant plutôt les airs du poète des Idylles du Roi.

A la phase ultérieure de son développement, le préraphaélisme aboutit, en Angleterre, à l’« esthétisme », et, en France, au « symbolisme ». Nous aurons à nous occuper plus à fond de ces deux tendances.

Max Nordau. — Dégénérescence.
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