point. Tous étaient d’une ignorance profonde, et comme ils n’étaient pas capables, par faiblesse de volonté, par impossibilité d’attention, d’apprendre quelque chose systématiquement, ils se persuadèrent, d’après une loi psychologique bien connue, qu’ils méprisaient tout savoir positif et ne tenaient comme dignes de l’homme que la rêverie et la divination, « l’intuition ». Quelques-uns d’entre eux, comme Moréas et Guaita, qui depuis est devenu « mage », lisaient sans méthode toutes sortes de livres qui leur tombaient sous la main aux étalages des bouquinistes des quais, et rapportaient aux camarades, avec des tournures de langage grandiloques et mystérieuses, les fruits de leurs lectures ainsi happés. Les auditeurs s’imaginaient ensuite qu’ils se livraient à une étude pénible, tandis qu’ils acquéraient de cette façon ce bric-à-brac d’érudition qu’ils étalaient ensuite dans leurs articles et brochures, et où le lecteur sain d’esprit rencontre avec un joyeux étonnement les noms de Schopenhauer, Darwin, Taine, Renan, Shelley, Gœthe, qui servent d’étiquette à des rognures informes et méconnaissables, à des balayures de bribes non digérées, de phrases incomprises audacieusement mutilées, et de fragments d’idées arrachés çà et là et empochés sans scrupule. Cette ignorance des symbolistes et cette vantardise puérile d’un feint savoir sont franchement avouées par l’un des leurs. « En doctrine religieuse et philosophique », dit M. Charles Morice, « bien peu de ces jeunes gens ont des informations précises. Mais des termes du culte ils retiennent de beaux vocables comme ostensoir, ciboire, etc., plusieurs gardent de Spencer, de Mill, de Shopenhauer {(sic!), de Comte, de Darwin,
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