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LE MYSTICISME

peut dissimuler que sa manière d’être est en contradiction avec les lois sur lesquelles reposent la structure de la société et la civilisation, et il éprouve le besoin de se justifier à ses propres yeux. Il le fait en attribuant une haute importance aux rêves et aux caquetages où il gaspille son temps, importance destinée à éveiller chez lui l’illusion que ces rêves et ces caquetages ont la même valeur que les plus sérieuses activités, que même ils leur sont supérieurs. « Au fond, voyez-vous, dit M. Stéphane Mallarmé, le monde est fait pour aboutir à un beau livre [1] ». M. Charles Morice déplore avec émotion que le bel esprit soit dans « l’obligation de s’interrompre entre deux hémistiches, pour aller… accomplir une période de vingt-huit jours d’instruction militaire » … « Les agitations de la rue », continue-t-il, « le grincement de la machine gouvernementale — journaux, élections, changements de ministères, — n’a jamais fait tant de bruit ; l’autocratie turbulente et bruyante du commerce a supprimé, dans les préoccupations publiques, la préoccupation de la Beauté, et l’industrie a tué ce que la politique laisserait subsister de silence [2]». En effet, que sont tous ces riens : commerce, industrie, politique, administration, en regard de l’énorme importance d’un hémistiche ?

Les radotages des symbolistes ne se perdirent pas complètement dans l’atmosphère de leurs cafés, comme la fumée de leurs cigarettes et de leurs pipes. Une partie d’entre eux se fixa et parut dans la Revue indépendante,

  1. Jules Huret, Enquête sur l'évolution littéraire. Paris, 1891, p. 65.
  2. Charles Morice, op. cit., p. 271.