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LE MYSTICISME

La grande Révolution proclama trois idéals : Liberté, Égalité et Fraternité. La fraternité est un mot innocent qui n’a pas de signification réelle, et, par conséquent, ne gêne personne. La liberté, elle, est désagréable aux classes supérieures, qui se plaignent beaucoup de la souveraineté du peuple et du suffrage universel ; mais elles supportent cependant sans trop de malaise une situation mitigée, après tout, par une administration chicanière, la tutelle policière, le militarisme et la gendarmerie, et dans laquelle la populace est encore tenue suffisamment en laisse. Mais l’égalité est pour les possédants une abomination insupportable. Elle est l'unique conquête de la grande Révolution qui ait survécu à toutes les transformations ultérieures du régime politique et soit restée vivante dans le peuple français. Car de la fraternité, le Français ne sait pas beaucoup ; sa liberté, nous l’avons dit, a fréquemment pour symbole une muselière ; mais l’égalité, il la possède effectivement et y est fermement attaché. Le dernier des vagabonds, le souteneur des grandes villes, le chiffonnier et le palefrenier croient valoir autant que le châtelain, et ils le lui disent sans barguigner en plein visage, quand l’occasion s’en présente. Les motifs du fanatisme égalitaire des Français ne sont pas particulièrement nobles. Il ne résulte pas d’un sentiment de hautaine virilité et d’une affirmation de sa propre valeur, mais d’une basse envie et d’une intolérance mauvaise. Rien ne doit dépasser le niveau ! Rien ne doit être meilleur, plus beau ou seulement plus en vue que la vulgarité moyenne ! Or, contre cette rage d’égalitarisme, se révoltent avec une violence passionnée les classes