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LE TOLSTOÏSME

tion du monde, qu’on peut définir par le nom de tolstoïsme.

Pour démontrer que le tolstoïsme est une aberration intellectuelle, une forme de dégénérescence, il est nécessaire d’examiner critiquement d’abord Tolstoï lui-même, puis le public qui s’enthousiasme pour ses idées.

Tolstoï est à la fois poète et philosophe, cette dernière qualité dans le plus large sens, c’est-à-dire également théologien, moraliste et sociologue. En tant que créateur d’œuvres d’imagination, il occupe une très haute place, bien qu’il n’atteigne pas la valeur de son compatriote Tourgueneff, qu’il semble actuellement avoir fait reculer dans l’estime de la foule. Tolstoï ne possède pas la pondération artistique superbe de Tourgueneff, chez lequel il n’y a jamais un mot de trop, jamais de longueur ni de digressions, et qui, authentique et grandiose créateur d’hommes, plane à la façon d’un Prométhée au-dessus de ses figures, auxquelles il insuffle la vie. Les plus grands admirateurs de Tolstoï eux-mêmes admettent qu’il est prolixe, se perd dans les détails, et ne sait pas toujours dans leur multitude relever avec un goût sûr l’essentiel et sacrifier ce qui n’est pas indispensable. M. de Vogüé dit, en parlant de La Guerre et la Paix : « L’appellation de roman convient-elle bien à cette œuvre compliquée ? … Le fil très simple et très lâche de l’action romanesque sert à rattacher des chapitres d’histoire, de politique, de philosophie, empilés pêle-mêle dans cette polygraphie du monde russe… Le plaisir y veut être acheté comme dans les ascensions de montagne ; la route est

parfois ingrate et dure, on se perd, il faut de l’effort et

Max Nordau. — Dégénérescence.
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