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FIN DE SIÈCLE

viendra et ce que cela sera. Dans le chaos des idées, on espère que l’art renseignera sur l’ordre qui doit succéder à la confusion. Le poète, le musicien doivent annoncer ou deviner, tout au moins laisser pressentir, dans quelles formes la civilisation continuera à se développer. Qu’est ce qui demain sera moral, sera beau ? Demain que saura-t-on, à quoi croira-t-on. pour quoi s’enthousiasmera-t-on, comment jouira-t-on ? Telles sont les questions posées par les mille voix de la foule. Et là où un pitre ouvre une boutique et affirme avoir une réponse, où un fou ou un farceur commence soudainement à prophétiser en vers ou en prose, en notes ou en couleurs, ou prétend exercer son art autrement que ses prédécesseurs et ses émules, on accourt en masse vers lui, on cherche dans ses productions, comme dans les oracles de la Pythie, à deviner un sens ; on essaye de les interpréter, et plus elles sont obscures, insignifiantes, et plus elles paraissent, aux yeux des pauvres gobe-mouches affamés de révélations, renfermer en elles d’avenir, plus avidement, plus passionnément on les commente.

C’est là l’aspect qu’offre, à la rouge lueur du Crépuscule des Peuples, le tourbillon humain. Les nuages fantastiques flamboient au ciel dans la belle rutilance sinistre qui, à la suite de l’éruption du Krakatoa, fut observée pendant plusieurs années. Sur terre rampent des ombres de plus en plus épaisses qui enveloppent les phénomènes d’une obscurité mystérieuse, détruisant toutes les certitudes et permettant tous les pressentiments. Les formes perdent leurs contours et se dissolvent en remous de brouillards. Un jour est fini, la nuit monte. Les vieux