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SYMPTÔMES

explosions éplorées d’amour pour tous les souffrants et les humbles, ou des transports enflammés de fervente croyance en Dieu. On aime beaucoup les histoires de revenants, mais présentées sous un déguisement scientifique, tel qu’hypnotisme, télépathie, somnambulisme ; les jeux de marionnettes, où des compagnons à l’air naïf, mais rusés, font balbutier comme de petits enfants ou des imbéciles les figures vieillies des ballades ; enfin les romans ésotériques, dans lesquels l’auteur donne à entendre qu’il pourrait en dire beaucoup sur la magie, la kabbale, le fakirisme, l’astrologie et autres sciences blanches et noires, pour peu qu’il le voulût. On se grise des successions nébuleuses de mots des poésies symboliques. Ibsen détrône Gœthe ; Mæterlinck est mis au même rang que Shakespeare ; des critiques allemands et même français déclarent Frédéric Nietzsche le premier écrivain allemand de l’époque présente ; la Sonate à Kreutzer de Tolstoï, est la Bible des dilettantes de l’amour qui ne comptent plus leurs amants ; des messieurs comme il faut trouvent « très distingués » les refrains vulgaires et les chansons de forçats de Jules Jouy, de Bruant, de Mac Nab et de Xanrof, à cause de « la chaude sympathie qui y circule » (les mots entre guillemets sont une formule) ; et des mondains qui ne croient qu’au baccara et à la Bourse vont en pèlerinage au mystère de la Passion représenté par les paysans d’Oberammergau, et ils s’essuient les yeux en lisant les invocations de M. Paul Verlaine à la Sainte Vierge.

Expositions artistiques, concerts, théâtre et livres, fussent-ils si extraordinaires, ne suffisent toutefois pas