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L'ÉGOSTISME

chez les uns seulement le mysticisme de la pensée, chez les autres seulement l'émotivité érotique, ou la manie de réforme universelle et la philanthropie confuses et stériles, ou seulement l’impulsion aux actes criminels, etc., ceux-là ne verraient évidemment qu’un côté du phénomène et ne tiendraient pas compte des autres. Tel ou tel stigmate de dégénérescence peut, dans un cas donné, apparaître tout particulièrement ; mais, en cherchant avec soin, on trouvera à côté tous les autres également, au moins indiqués.

Le grand mérite d’Esquirol a été d’avoir reconnu qu’il y a des formes d’aliénation mentale dans lesquelles la pensée procède en apparence d’une façon tout à fait raisonnable, mais où apparaissent au milieu de l’activité cérébrale intelligente et logique, semblables à des blocs erratiques, quelques idées folles qui laissent reconnaître dans le sujet un malade d’esprit. Seulement, Esquirol a commis la faute de ne pas creuser assez profondément ; son observation s’est trop arrêtée à la surface. Pour ce motif seul il a pu introduire dans la science l’idée de la « monomanie », c’est-à-dire de la folie partielle bien délimitée, de l’idée fixe isolée, à côté de laquelle tout le restant de la vie intellectuelle s’effectuerait sainement. C’était une erreur. Il n’y a pas de monomanie. Le propre élève d’Esquirol, Falret père, l’a suffisamment démontré, et notre Westphal, disons-le sans vouloir faire tort à ses mérites, était loin d’être à la hauteur de la science quand, un demi-siècle après Esquirol, trente ans après Falret, il décrivait encore la « peur des espaces » ou agoraphobie comme une maladie intellectuelle spéciale, comme une monomanie. La prétendue monomanie est en réalité l’in-