Page:Noufflard - Lohengrin à Florence, 1888.djvu/10

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Ici nous touchons au g-rand écueil du rôle, écueil que Wagner connaissait bien, car il lui avait été signalé par ses amis avant même que son œuvre ne fut achevée. Lohengrin n’a eu aucun mérite à croire en Elsa et à prendre sa défense : grâce à un pouvoir merveilleux il connaissait son innocence, et c’est sans danger qu’il a combattu pour elle. Au contraire, quand, avant de se donner, Elsa réclame que son époux se donne à elle lui aussi tout entier, elle obéit à l’un des instincts les plus délicats et les plus nobles du cœur féminin. Mais si Lohengrin satisfaisait à ces justes exigences, il perdrait les avantages merveilleux qu’il doit à l’incognito, aussi n’hésite-t-il pas, brisant le tendre cœur qu’il est venu troubler, il part pour aller jouir tranquillement de la béatitude. Qu’est donc un tel héros ? Un égoïste qui ne peut éveiller qu’aversion et répugnance. — Telle est l’objection que présentèrent à Wagner ses amis. Il en fut tellement frappé qu’un moment il eut l’idée de changer son dénouement pour nous montrer Lohengrin renonçant à l’immortalité en faveur d’Elsa, et s’il n’en fit rien, c’est que par là s’en fut allée toute la portée de son poème, dont la signification devait être précisément que le sentiment spontané peut seul unir deux êtres séparés par l’inégalité de leur nature[1]. Mais comme cette pensée morale, on ne peut pas dire que, dans Lohengrin, elle apparaisse de soi-même, bien clairement.

  1. Je ne puis ici que toucher en passant ce point délicat de la genèse de Lohengrin ; pour plus de détails, voir mon Wagner d’après lui-même (Paris, Fischbacher ; Florence, Loescher).