Page:Nougaret - Naufrages célèbres, ou Aventures les plus remarquables des marins, 1843.djvu/36

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animaux, n’ayant plus les miettes et autres choses à ronger, couraient en grand nombre, mourant de faim dans le vaisseau. On les poursuivit avec tant de soin et de pièges, qu’il en demeura fort peu. La nuit même nous les cherchions à l’exemple des chats, qui depuis longtemps n’existaient plus parmi nous. Un rat était plus estimé qu’un bœuf sur terre ; le prix en monta jusqu’à quatre écus. On les fit bouillir dans l’eau avec tous leurs intestins, qu’on dévorait comme le corps ; les pattes n’étaient pas exceptées ni les autres os, qu’on trouvait le moyen d’amollir.

« L’eau douce nous manqua aussi : il ne resta pour tout breuvage qu’un petit tonneau de cidre, que le capitaine et les maîtres d’équipage ménageaient avec le plus grand soin. S’il tombait de la pluie, on étendait des draps avec un boulet au milieu pour la faire distiller. On retenait jusqu’à celle qui s’écoulait par les égouts du vaisseau, quoique plus trouble que celle des rues. On lit dans Jean de Léon, que les marchands qui traversent les déserts d’Afrique, se trouvant réduits à la même disette que nous, n’ont qu’un seul moyen de résister à la soif, c’est de tuer un de leurs chameaux et de recueillir l’eau rassemblée dans son estomac ; ils la partagent entre eux. Ce qu’il dit ensuite d’un riche négociant qui, traversant un de ces déserts et pressé d’une soif extrême, acheta une tasse d’eau d’un chamelier qui était avec lui, la somme de dix mille ducats, montre combien la soif est un besoin impérieux. « Cependant, ajoute le même historien, et le marchand et celui qui lui avait vendu si cher un verre d’eau, moururent également de soif ; et l’on voit encore