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Page:Nouvelle revue germanique, tome 14, 1833.djvu/104

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HENRI DE KLEIST

nouvelle position, il désire la quitter et faire un voyage. Il obtient un congé, et part avec sa sœur pour Paris, où il séjourne une année. Là il fait connaissance d’un peintre, part avec lui pour la Suisse, et laisse sa sœur à Paris. Il s’arrête quelques semaines au bord du lac de Thun, s’occupe de travaux poétiques, et écrit en assez peu de temps sa première tragédie : la Famille Schroffenstein. Et presque aussitôt il se met à en commencer une autre : Robert Guiscard.

Mais déjà la mélancolie de son caractère lui dexuent plus lourde ; les distractions après lesquelles il a couru lui échappent ; le dégoût de la vie le prend. À vingt-cinq ans il se sent las d’être au monde, il voudrait terminer et laisser comme un monument sa tragédie de Robert Guiscard, et puis après mourir, et se laissant toujours aller à cette tristesse qui l’obsède, à ce découragement qui lui vient, il sent que ses forces physiques s’affaiblissent comme ses forces morales. Il tombe malade, et sa sœur accourt en toute hâte pour lui donner ses soins, son appui, et le ramener en Allemagne.

Kleist vient à Weimar, se rend l’ami de Wieland, qui Imde à corriger sa Famille de Schroffenstein ; puis arrive à Dresde, et le même besoin d’émotions et de changemens qui l’a poursuivi jusqu’ici, le ramène encore avec un de ses amis en Suisse, et de là à Milan, puis en France, à Lyon et à Paris. Pendant ce voyage la hmeste direction de son ame a pris un caractère encore plus alarmant. Il tombe dans des accès de tristesse inouis, et sa susceptibilité, devenue de jour en jour plus vive, le fait passer à toute heure de l’espérance au découragement, de la confiance en lui-même aux prévisions les plus sinistres. Et puis, quelle cause attribuer à cette étrange nature ? Il n’a point eu encore à subir les infortunes auxquels tant d’hommes ont été assujettis ? Il n’a pas eu à apporter la misère, ni la perte cruelle de quelques êtres qui lui étaient chers. Il a peu vécu dans le monde.