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LE ROI GRATTAFICO


Là, sur un vaste et lugubre cercueil
Gisait le cadavre d’un chevalier,
Qui, à la clarté d’une lampe de verre,
Apparaissait jeune et de tournure élégante ;
Il avait la main gauche sur la poitrine,
Comme pour prier ; de la droite, il serrait son épée nue.

Un habile chirurgien, à force de drogues et d’art
Et de baume odoriférant recueilli dans l’Inde,
D’une grande partie des ravages de la mort
Avait préservé cette dépouille inanimée,
Si bien que le chevalier semblait être au moment même
Où la faux cruelle l’avait abattu.

On voyait à découvert la grande blessure
Que le plomb foudroyant ouvrit dans sa poitrine.
Pâle, gémissante, désespérée,
La princesse sur lui tourna les yeux ;
Elle trembla, elle frémit, du fond de son cœur un cri
De douleur sortit : « Hélas ! » s’écria-t-elle, « mon fidèle ami,

» Pourquoi ? pourquoi es-tu séparé de moi ?
» Que ferai-je sans toi, malheureuse, sur la terre ?
» Vivrai-je ? mais le cœur plein d’une immense douleur ?
» Vivrai-je ? mais toujours en proie au désespoir ?
» Vivrai-je ? mais privée de toi ? Ah non ! je veux,
» Je veux mourir avec toi, mon idole !

» Que ton odieux rival n’espère pas,
» Ce misérable, ce traître, cet inhumain,
» Triompher de ton malheur et du mien ;
» Si je vis encore, mon trésor, je ne vis pas en vain ;
» Je te rejoindrai vite : mais attends d’abord
» Un présent qui t’est dû : la vengeance.