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Page:Nouvelles soirées canadiennes, juil & août 1883.djvu/75

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à travers les ronces

Hé mon Dieu ! que ne voudrait-on pas ? Comme volontiers souvent on se remettrait à la poursuite des chimères ! Et avec quelle étrange peine on commence à réaliser soi-même l’incroyable brièveté des années !

Mon Dieu ! délivrez-moi de la folie des regrets et des rêves. Faites-moi comprendre la gravité de la vie. Qu’importe qu’il me manque un peu plus qu’aux autres ; aux plus favorisés il manque encore bien des choses, et sur la terre chacun connaît la tristesse profonde de l’impuissante aspiration.

Jamais nous n’aimerons comme nous aurions besoin d’aimer ; jamais nous ne serons aimés comme nous aurions besoin de l’être. La réalité n’est pas le roman, et l’important dans la vie, c’est de se résigner à l’insuffisant, au vide, au froid, au terne.

Mais s’y résigner, est-ce s’en contenter ? Non, Dieu ne veut pas cela, et s’il a frappé de néant nos bonheurs et nos tendresses, c’est pour nous faire mériter l’amour jusqu’à l’adoration, la joie jusqu’à l’extase.

Oh, que nous devrions bénir nos intimes tristesses ! La souffrance, disait un saint, la souffrance est la fleur des biens que nous attendons.

Laure Conan.